AU-DELA : LA VOIE DE L'ENCRE

… le choix de l’encre et de ses nuances, le choix d’un espace « entre deux », peut-être la recherche de la voie du milieu.

 

Vous trouverez ci-dessous un texte qui traite de l’origine de la peinture à l’encre, avec sa philosophie, extrait de mon mémoire universitaire « L’utilisation de la peinture à l’encre de Chine comme médiation en art-thérapie : spécificités et potentialités » (Université René Descartes – Paris V, 2014)

«…/… La peinture à l’encre de Chine extrême orientale présente la singularité d’être le support privilégié de toute une tradition spirituelle et ne peut se réduire à une approche technique. Elle est liée à une pensée qui a évolué pendant des siècles et qui a connu un développement continu en dépit des périodes de troubles et de conflits. Cet art ne se limite pas à reproduire les apparences extérieures, il est l’expression d’une intériorité, celle de l’artiste, et de façon plus large, d’une spiritualité qui s’inscrit dans une tradition et une culture.

 

La nature, animée du souffle vital, détient une dimension spirituelle et philosophique, elle se retrouve dans la peinture et lui donne sens ; ainsi la peinture de paysage prédomine car l’acte de peindre permet de se rapprocher du vivant.

Cette conception développée par les anciens Chinois, qui est la référence pour tout artiste chinois – qui ne se conçoit pas personnellement comme entité séparée de ce qui l’entoure mais comme élément faisant partie d’un tout – est notamment ancrée dans le confucianisme et dans le taoïsme. Ces deux grands courants se réfèrent à l’ouvrage primordial de la pensée chinoise, le Livre des Mutations qui marque l’omniprésence de l’idée de mouvement et de transformation dans la pensée chinoise. Le taoïsme en particulier s’appuie sur les concepts de Yin et de Yang et de Vide et de Plein. Ces deux concepts sont essentiels pour la compréhension de la peinture asiatique.

La peinture à l’encre de Chine est portée par le principe suivant : le Vide est dynamique, il constitue une entité vivante qui se manifeste à travers le Plein. Lao Tzeu évoque ce vide créateur dans le verset 11 de son texte fondamental La Voie et sa vertu. Par le support du Vide (blanc du papier, élément réceptif – Yin), le peintre ouvrira à la forme, au rythme et au mouvement par le Plein (encre noire posée par le pinceau, élément actif – Yang) et accorde son souffle à celui de la nature et de l’univers. Pour celui-ci, l’encre et le papier sont l’union de l’esprit et du corps. Ce vide primordial se manifeste comme un canal de création permettant au peintre de déployer son imaginaire.

Les Monts Jinting, Shitao, 1671

Ces notions clés seront reprises par les précurseurs et les peintres de l’Art moderne qui étudieront cette conjonction de la peinture et de la pensée et élaboreront à partir de là de nouveaux procédés et de nouveaux langages picturaux. Certaines de leurs recherches peuvent être mises en parallèle avec la théorie établie par Shi Tao (17eme) dans son ouvrage Propos sur la peinture. Shi Tao, connu pour être le peintre chinois de la théorie de « l’unique trait de pinceau » a marqué et orienté l’art pictural chinois vers une nouvelle voie.

 

Selon lui, un premier trait à l’encre noire, simple et élémentaire, porte les possibilités suivantes : créer et transformer, exprimer rythme et mouvement, posséder à la fois une unité propre et des capacités de changement. Shi Tao écrit dans son Chapitre IV « la peinture résulte de la réception de l’encre ; l’encre, de la réception du pinceau ; le pinceau, de la réception de la main ; la main de la réception de l’esprit », et dans le Chapitre X,

« ne restez pas enlisés dans ces conceptions pédantes de trois plans et deux sections ; au contraire, attaquez avec impétuosité de manière à ce que toute la force des coups de pinceaux puisse se manifester ».

Dans son Chapitre XV, l’artiste insiste aussi sur la préparation mentale, la position du corps et le geste, qui sont les exigences pour être un bon peintre. …/… »


V.Terrieux 2014